Lors de l’événement Flupa UX Days en 2016, Christophe COTIN VALOIS (auteur) a présenté une conférence l’évolution des métiers dans un contexte de mutation profond des usages. Cette mutation des usages issues de cycles d’ adoptions des technologies de plus en plus rapide, impose de nouveaux challenges aux concepteurs de produit connecté. De nouveaux enjeux et de nouvelles compétences sont nécessaires pour faire face à ces mutation de marché ou l’expérience devient de plus en plus centrale.
Non, nous n’allons pas tous devenir des geeks… Bien que nous avons certains comportements qui pourraient nous amener à penser le contraire ! Parlons plutôt de mutation des usages. Même si nos compétences techniques augmentent, la complexité augmente également, autant que nos attentes, le design d’expérience a de beaux jours devant lui.
Depuis une vingtaine d’années, le digital se développe à grande vitesse et est maintenant présent dans la vie de (presque) tous les Hommes. L’innovation va toujours plus loin, toujours plus vite, les acteurs sont de plus en plus nombreux et donc les produits proposés se multiplient sur le marché. La technologie est devenue (relativement) accessible. Plus d’un tiers de la planète possède aujourd’hui un smartphone. Selon les études de l’IDC (International Data Corporation) et de Deloitte en 2015, déjà, 44% des personnes dorment avec leur téléphones près d’eux et 86% le consulte dans les l’heure qui suit le réveil.
Cette accessibilité à la technologie a entraîné une désacralisation progressive de celle-ci. Par exemple, aujourd’hui, personne n’a plus peur de skier avec son portable dans la poche. Même, cela paraît presque inconcevable ! « Et si je me blesse, comment puis-je prévenir ? », « Magnifique la vue du sommet, je vais prendre une photo ! ».
Cette mutation des usages entraîne une mutation des business qui entraîne une mutation des métiers qui entraîne à son tour une mutation des produits et services proposés. Toutefois, certains de ces nouveaux produits ou services innovants peuvent échouer car les usages ne sont toujours pas au rendez-vous, comme l’illustre cette conférence Lift de Nicolas Nova. Il en résulte alors à nouveau, une adaptation dans l’utilisation : une nouvelle mutation des usages. Appelons tout cela une itération de marché.
Prenons l’exemple du tactile : pour pouvoir utiliser des appareils tactiles, nous avons besoin d’avoir nos mains disponibles et nues (mutation usages). Cela ne fonctionne pas si nous portons des gants par exemple. Des acteurs de l’industrie y ont vu une opportunité de nouveau marché (mutation business) ; créer des gants adaptés : tactiles. Cependant, comme ces derniers étaient spécialisés dans le textile, ils n’avaient pas forcément toute l’expertise du métier digital et notamment la culture du test (mutation métiers). L’utilisation des gants tactiles dans certains cas est restée au stade de théorie (capacités techniques d’un textile) et n’a pas a été confrontée à la réalité des usages. En conséquence, l’expérience s’est parfois révélée peu concluante. Suite à cela, de nouveaux acteurs ont à nouveau proposé de nouveaux produits plus adaptés.
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Aucun doute sur la capacité de l’humain à s’adapter à un nouvel environnement. Par exemple l’humain s’est adapté à la télé, à la télé en couleur, au magnétoscope, au téléphone portable puis au téléphone portable tactile etc.
Cependant, dans notre société, toutes les personnes ne sont pas en mesure de supporter la perpétuelle demande d’adoption. Un nouveau phénomène est constaté, de par le cumul de technologies matures et disponibles dans le quotidien de l’homme moderne connecté : le syndrome d’adoption permanente.
Depuis 2010, le rythme d’ adoption des innovations technologiques s’accélèrent et leur adoptions se cumulent depuis 2015 (SAMSUNG NEXT — 2017) (Black Rock — 2015)
Lorsqu’une charge cognitive trop importante (trop grand effort intellectuel) s’ajoute à une saturation physique, à un instant T, cela engendre un échec ou un rejet de l’apprentissage. En conséquence, au lieu de s’imposer de nouvelles contraintes, les personnes tentent de contourner le manque de simplicité et de confort d’usage. Par exemple, qui n’a jamais vu quelqu’un faire du nose swiping pour déverrouiller son téléphone ou pour répondre à un appel parce qu’il avait les mains prises ou qu’il n’avait pas de gants tactiles ?
A l’ère des services, le design doit permettre de déporter l’effort de l’utilisateur sur le système. A produit ou service équivalent, celui proposant une utilisation simplifiée (sorte de micro-service), sera préféré à un autre. Ces micro services deviennent de véritables protocoles que le designer va devoir intégrer de manière optimale pour accéder au service.
Les nouvelles technologies et l’économie de partage qui est en route, ont entraîné de nouvelles interactions au quotidien. Ces interactions sont maintenant nombreuses et complexes de par le mix d’interfaces, de technologies et d’utilisateurs; nous sommes passés d’un appareil pour plusieurs utilisateurs à plusieurs appareils pour un utilisateur puis à plusieurs appareils pour plusieurs utilisateurs, interconnectés.
En principe, chaque produit mis à part fonctionne. En revanche, la combinaison des produits n’interagit pas forcément bien dans tous les cas d’usage. Il faut donc trouver des solutions.
Le design d’expérience va devoir se transformer de plus en plus en design d’interaction et travailler sur les notions d’interconnexion, d’in/output, le fameux .io. Il faut mettre en place des protocoles qui permettent de sélectionner les utilisateurs éligibles ou non à un système, autoriser leur connexion ou la rejeter et notifier les utilisateurs concernés; et puis gérer les différentes combinaisons possibles entre les hardwares, softwares et networks pour donner in fine, accès ou non au service. L’accès au service s’en retrouve potentiellement rallongé et complexifié en comparaison à l’utilisation d’un simple câble, par exemple pour diffuser de la musique sur une enceinte portable.
Le design d’expérience doit se transformer en intégrant plus profondément les principes de design d’interaction et leur enjeux cognitifs, en portant une attention toute particulière aux protocoles
(voir conférence “Design with protocoles”, Christophe Cotin-Valois, 2016).
Cela est particulièrement valable dans le monde des objets connectés, des “voice controlers” type Google Home et de la domotique en général où les protocoles techniques sont très nombreux et parfois complexes. Le paradigme d’interface graphique s’efface pour laisser place à de nouvelles modalité d’interaction.
Évaluer le rôle d’un système et son autonomie face au contrôle de l’utilisateur sur celui-ci est un point clé dans la grille d’évaluation ergonomique. Seul les observations et les tests rapides permettront d’évaluer et de comprendre ce que l’utilisateur est capable de supporter. Les nombreuses itérations permettront de mettre en place des spécifications de design pour chaque cas d’usage et ainsi réduire l’écart entre théorie d’utilisation et réalité d’usage. Plus que jamais, l’adoption d’une innovation par le marché, au-delà des promesses de marketing de service, est conditionnée par l’expérience utilisateur, clé de voûte de l’accès au service.
Christophe Cotin-Valois — Conférence Flupa UX DAYS 2016
https://fr.slideshare.net/CCV/mutation-des-usages-mutation-des-mtiers-uxdays16-flupa/1