Le design de service est une discipline ombrelle qui s’appuie sur plusieurs dimensions du design et en particulier l’UX. Mais le paradigme de l’expérience utilisateur n’est toujours pas assimilé, c’est pourtant une composante clé pour offrir un service de qualité qui englobe toute l’expérience, du digital aux espaces physiques qui accueillent du public.
Pourquoi le paradigme de l’utilisateur infuse-t-il dans toutes les disciplines, de la communication au management jusque dans l’architecture de ces espaces publics ?
Dans de nombreuses disciplines, la conception reste tournée sur la vision du concepteur, de l’organisation, de l’éditeur du produit ou du lieu. On cherche a présenter le produit sous son meilleur angle, celui qui valorise la démarche, l’effort de création. On cherche des partis pris forts, de l’impact. C’est pourquoi il est nécessaire de faire appel aux métiers du conseil et de la création. Certes !
Mais aujourd’hui ces enjeux créatifs doivent s’adapter aux mutations en vigueur dans la société de service où le public est pressé et s’attend à un minimum de standard en terme d’expérience ; que ce soit pour faire ses comptes, gérer ses tâches administratives, organiser ses déplacements, ses vacances et même une visite dans un musée.
Désormais les citoyens, sont également des clients exposés à des dispositifs modernes, au quotidien de Uber à Netflix ou Amazon. Cet état de fait teinte profondément leurs comportements et donc leur niveau d’exigence. Ils sont en quête de performance et de simplicité. Un musée attire par sa programmation, mais les visiteurs sont en droit d’attendre un minimum de confort pour agrémenter l’expérience du contenu qu’ils viennent découvrir, pour ne pas dire consommer.
Ces lieux ont progressivement augmenté leur offre de service, on y trouve des vestiaires, des boutiques, des cafés ou des restaurants. Mais cela ne suffit plus, le besoin d’expérience s’affirme dans tout le parcours, de l’achat de billet depuis les sites de billetterie, jusqu’à la gestion du transport, voir d’une réclamation, car c’est bien d’expérience client qu’il s’agit.
Le design de service, un discipline moins connue qui inclue de nombreuses pratiques du design et que l’on peut résumer en 3 concepts :
ce que l’utilisateur du service voit, regroupe l’ensemble des éléments de communication, et de sémantique du service dont la cohérence est un premier sujet d’attention. Viennent ensuite, l’accès, la clarté et la facilité d’utilisation du service, en totale cohérence donc avec les éléments de communication préalable.
Elle se révèle lors l’interaction avec le service où l’on cherche à offrir un maximum d’efficience et de confort à l’utilisateur. Au delà des fondamentaux de l’ergonomie et de la psychologie, cette partie invisible repose sur la culture de l’entreprise et les méandres de l’organisation qui propose ce service : ses process, ses outils et systèmes d’information. Le but étant de délivrer in finé une expérience positive grâce à un parcours fluide pour l’utilisateur du service.
Pour illustrer ces enjeux, nous nous servirons de quelques exemples issus de nos visites dans lieux d’expositions culturelles emblématiques ; le Louvre, la Fondation Louis Vuitton (que nous nommerons FLV afin d’alléger votre lecture), ou encore les expositions Ramsès, et Harry Potter à Paris. Le but n’est pas de comparer ces honorables institutions, ni de démontrer qu’il ne faut pas les fréquenter, mais d’y piocher ça et là, lors de récentes sorties culturelles, des exemples de lacunes que la démarche centrée utilisateur aurait pu adresser. Déformation professionnelle oblige, nous avons glané quelques avis clients sur différentes plateformes, afin de nous assurer que nos attentes de professionnels du design ne biaisent pas trop cette analyse sommaire, qu’il faudrait compléter d’un audit approfondi.
Commençons par la Fondation Louis Vuitton, un bijou architectural, une pièce de design, raffinée et parfaitement exécutée, le bâtiment est splendide, ça claque, une programmation prestigieuse… Wow !
Mais ce bâtiment est-il pensé pour ses visiteurs ? Au-delà de l’attractivité du lieu et du contenu exposé, une fois sur place, en situation d’usage, le lieux est-il pratique, agréable simple d’utilisation ?
Tout bon marketeur sait que son produit doit être accessible, sa boutique bien placée, son site visible dans Google et qu’il doit être aisé pour le client d’y entrer. Dans le digital cela se traduit par un parcours utilisateur fluide. C’est pourquoi, par exemple on n’impose pas de créer un compte dès les premiers clic sur un site e-commerce. Dans une boutique physique les portes s’ouvrent automatiquement, bref on facilite l’entrée, on tente de lever les freins d’accès à l’offre et on s’efforce de mettre le visiteur dans de bonnes dispositions pour qu’il consomme facilement et reparte satisfait. Que le bouche à oreille génère de nouvelles visites.
Dans le cas de la FLV, les accès semblent inopérants des navettes à la file d’attente, l’expérience est plutôt décevante.
Les abords du bâtiment questionnent tout de suite sur le parcours d’accès et son implantation dans le dispositif existant. A commencer par le chemin que se sont frayé les visiteurs dans le sous bois latéral, un cas d’école en UX qui illustre la différence entre l’usage réel et celui prévu par les concepteurs (souvent appelé “stratégie de contournement”).
La question de l’attente dans ces lieux culturels est bien connue. Les habitués des Musées et expositions sont familiers avec le système de billets achetés à l’avance, en général à date et heure fixe pour éviter les files d’attentes interminables. Certains sites de billetterie, comme Tiqets, proposent des billets “premium” avec coupe-fil, concept absent des sites des Musées que l’on retrouve généralement dans les parcs d’attraction. Voila une sémantique ambigüe qui peut générer de la frustration sur place, car vous allez faire la queue. Plus ou moins, mais vous allez faire la queue et potentiellement démarrer votre visite dans de mauvaises dispositions. Cette première source de frictions interroge, les Musées surveillent t-ils la cohérence de leur présence digitale, au delà de leur propre site.
3 files, chacune censée correspondre au type de billet acheté, mais manifestement le temps d’attente est le même pour tous les visiteurs, voir pire pour ceux qui ont déjà leurs billets… Comme vous pouvez le voir la queue “billetterie” est plus courte que celle des visiteurs ayant “déjà réservé”.
La signalétique est ambigüe. Pour les visiteurs ayant acheté un billet sur une plate forme comme Tiqets, aucune mention de coupe-fil ou de billet “Premium” dans la signalétique. Sont-ils inclus dans “réservation internet” ?
La zone d’accueil étant à l’extérieur, on fait la queue le long du bâtiment, sous la pluie ou en plein soleil. Le comble…on vous prête même des parapluies. Il est vrai, comme le souligne un des avis, qu’un bâtiment moderne de cette envergure aurait pu intégrer cet espace d’attente et ainsi préserver les visiteurs des intempéries.
Pour Ramsès à la Villette, le problème de la queue est similaire. En revanche, la partie la plus longue se fait à l’abri, ce qui, par cette chaleur, est très appréciable. Nous noterons également une intention appréciable pour occuper les jeunes publics dans cette queue, avec des contenus accessibles via un Flash Code, quelle bonne idée ! …Dommage que le Flash code pointe vers des jeux très basiques, avec un vague lien avec l’exposition, c’était une opportunité d’utiliser ce moment à des fin pédagogiques pour situer Ramsès dans le temps, les frontières de l’empire, la géographie de l’époque… et ainsi se mettre dans le mood de l’exposition.
Pour l’exposition Harry Potter à la Porte de Versailles, l’accès sur notre créneau était fluide mais nous avons fait la queue près d’une heure à l’intérieur, car le flux est ralenti par un dispositif qui impose un bracelet connecté (utile sur le parcours mais optionnel) dont la création laborieuse génère un ralentissement préjudiciable pour ces enfants qui pénètrent finalement dans le lieu avec certain niveau d’excitation… que les parents peinent à canaliser.
En sortant de notre visite, nous avons découvert une entrée secondaire, et des bornes facilitant l’achat des billets ; il n’y avait personne. L’organisation a probablement ses propres raisons pour ne pas utiliser cette accès qui semble pensé à l’origine comme une entrée, mais qui fait office, en réalité, de sortie. Volonté ou mauvaise implantation du dispositif sur le parcours client ?
Non la gestion des flux est une discipline bien connue des lieux publiques, avec Vigipirate en particulier, ce sujet date de bien avant le COVID. Les commentaires sont justes, c’est bien un problème d’organisation. La partie visible (la queue) reflète effectivement la partie invisible de l’organisation (structure qui gère l’exploitation du lieu), ses règles, ses processus, ses décisions qui sont imposées aux visiteurs (clients) et impactent l’expérience sur le terrain.
Lors d’une visite à FLV on ne doit pas passer à côté de la mise en situation du projet architectural, présenté comme une œuvre, et c’est le cas !
Il est très appréciable de pouvoir admirer la démarche créative et toutes les représentations associées :
Le design de l’oeuvre se concrétise par un bâtiment dont les plans sont tout aussi singuliers mais difficilement décryptables lorsqu’ils sont appliqués à la signalétique. Celle-ci impose de mémoriser quelques concept comme l’orientation est/ouest, le passage d’un niveau à l’autre ou le numéro des galeries.
La tentation d’être “trop” auto centré, de pousser son concept à l’extrême jusque dans la signalétique, rend au final le repérage dans le lieu très complexe. Un effort de signalétique était nécessaire pour le rendre le lieu plus pratique sans dénaturer la singularité de l’oeuvre - qui probablement aurait nécessité quelques ajustements pour éviter l’effet labyrinthe lors des déambulations libres entre la programmation et la visite libre du bâtiment.
Le Louvre en revanche offre tout au long du parcours, un repérage visuel performant, qui ne nécessite pas de connaitre les lieux et le vocabulaire associé. En effet, la signalétique et son iconographie sont cohérentes sur les différents points de contact avec le visiteur.
La signalétique du Louvre est très visible, très lisible, et s’adapte même à différents points de vue, ce qui la rend assez efficace et évite la sensation de se perdre, car en cas d’hésitation, on sait toujours où aller pour “continuer” ou “sortir”. L’attention est judicieusement captée vers une destination, on avance naturellement malgré la foule car la signalisation est souvent pensée pour être visible au dessus d’une taille d’humain.
Celle de la FLV est parfois mal placée, en Français uniquement (comme pour Ramsès) et peu lisible de loin. Certains aiguillages ne sont pas visibles en cas d’affluence, et des erreurs de sens sont parfois préjudiciables ; à tel point que la recherche des toilettes peut s’avérer un véritable casse tête.
Dans le cas d’un site internet cela est comparable aux icônes utilisées et à leurs emplacements ; difficile d’imaginer aujourd’hui une icône panier située ailleurs qu’en haut à droite de l’interface. Le nombre trop important de clics ou la lenteur de chargement des pages génèrent une baisse de trafic (et de chiffre d’affaire), qui illustre à quel point la somme de ces petits détails deviennent des incontournables et teintent la tolérance des utilisateurs du service (consciente ou non) face à ces éléments devenus des fondamentaux. C’est une réalité que nous observons régulièrement dans nos études: le niveau d’exigence des usagers se généralise.
En utilisant des représentations des œuvres majeures de la programmation dans le parcours, dès le hall, le Louvre permet d’évoluer de manière très intuitive dans les collections (et non le bâtiment) par un système de reconnaissance visuelle qui permet aux visiteurs de s’orienter facilement. De plus, c’est un système universel qui va parler à la grande diversité des publics du Louvre, quelque soit les âges ou les nationalités. De la même manière sur le web les utilisateurs privilégient souvent les clic sur les images des articles qu’ils souhaitent consulter.
Au Louvre, l’expérience visuelle est omniprésente jusqu’aux casiers du vestiaire. Leur design ouverts permet de retrouver facilement son casier même si “on a oublié son n°” ou qu’on se trompe tout simplement. Ce détail semble très efficace pour la gestion du flux : ceux qui cherchent un casier libre le trouve immédiatement, et cela évite probablement de faire appel au personnel. L’ensemble de ces micros taches ont pour conséquence un flux rapide, issue d’une grande autonomie des visiteurs ce qui participe grandement à la fluidité de l’expérience à l’entrée comme à la sortie de la visite.
La signalétique, même si elle peut s’adapter au lieu se doit d’être cohérente sur le parcours. On privilégiera une cohérence en terme de message et d’iconographie sur tous les points de contact : publicité, prospectus, site internet, e-mails, SMS etc… (comme par exemple le Drive d’un supermarché, ou l’option Prime de Amazon) mais également sur les sites partenaires et autres revendeurs (sujet du coupe file et billets “Premium” par exemple pour FLV).
Au Louvre et à l’exposition Ramsès, le digital est plutôt bien intégré, pas de sur-promesse ou de poudre aux yeux, cela reste serviciel mais mériterait un supplément d’âme pour augmenter la désirabilité de ces services. Nous n’avons pas testé l’ensemble de ces solutions et ne pouvons donc se prononcer sur leur efficience fonctionnelles. Néanmoins, Pour le Louvre il est regrettable que le plan du musée accessible via QR-Code ne soit qu’un simple PDF du programme qui contient le plan, mais absolument pas adapté à la consultation mobile.
Pour Ramsès, nous avons apprécié l’utilisation de l’audiovisuel dans la scénographie qui offre un véritable plus pour relancer le parcours ou la motivation des plus jeunes. Les contenus sont rythmés et spectaculaires avec l’utilisation d’hologrammes.
Pour Harry Potter, l’interaction est au cœur du parcours, après une première expérience pédagogique et sociales de prise en main des outils le groupe peut déambuler dans une succession de mise en scène très interactives où des quizz permettent de faire gagner des points à chacune des quatre maisons amblématique de la saga. L’attente préalable est vite oubliée car la circulation en groupe permet à chaque visiteur de profiter du lieu et des animations.
A l’exposition Ramsès, l’audio guide est un appareil classique qui fonctionne parfaitement, le déroulé du contenu est totalement intégré à la scénographie ce qui est très agréable. On sait exactement où on en est, et le visiteur entre naturellement en interaction avec l’exposition ce qui ajoute une véritable dimension. On a réellement le sentiment d’avoir un guide à ses côtés, à son service.
Pour la FLV, L’audio guide est dans une app dédiée. Ça semble moderne comme approche n’est ce pas ? Mais le dispositif reste globalement laborieux, la connexion au wifi est fonctionnelle mais instable, a l’ouverture une succession d’autorisations système (pour activer les fonctionnalités les plus intéressantes) que l’ on rejettera instinctivement car la design n’est pas très adéquat (je viens seulement de les lire). Une page “comment ça marche?” expliquant l’intérêt de ces outils lors de l’ouverture de l’app aurait été plus efficace.
Une fois arrivée au cœur de l’application, le cauchemar commence ; nous n’avons jamais compris quel contenu écouter en fonction des œuvres, et par ailleurs il est presque impossible d’écouter un contenu en entier sans que l’app ne crash.
Pour terminer, au Musée du Quai Branly, lors de l’Expo Kimono, l’usage de l’audio guide était totalement fluide dans le parcours de la visite, il n’y avait même pas besoin de signalétique dédiée, la cohérence était là, imparfaite mais très agréable, même pour les enfants, qui se sont laissés emportés et ont absolument tout écouté ! Si si !
J’imagine les responsables de ces lieux, ne pas apprécier la lecture de cet article et lui reprocher de prendre uniquement les avis clients négatifs en compte alors qu’ils sont minoritaires.
...prenons une courte pause.
Oui il y majoritairement des bons avis, mais ce n’est pas ainsi que l’on peut évaluer la qualité de l’expérience, il est aisé de constater que la plupart des avis positifs ne mentionnent pas l’expérience mais le contenu des expos ou la prouesse architecturale du lieu.
Pour répondre aux amateurs de chiffres :
Voici un rapide calcul de la répartitions des avis positifs et négatifs sur Trip Advisor, nous avons attribué une valence négative aux avis “moyen” considérant qu’il ne s’agit pas de “bons avis” et donc de clients qui ne sont pas satisfaits.
Nous obtenons 8,7% de clients non satisfaits pour le Louvre contre 15,6% pour la Fondation Louis Vuitton (environ le double) à noter que la part d’avis moyen est proche des 10% pour FLV et que ce point est particulièrement instructif.
Avis Trip Advisor annotés - aout 2023.
Mais quel business représentent-t-ils ces clients, qui laissent des mauvais avis ?
« Si vous rendez les clients mécontents dans le monde physique, ils pourraient le dire chacun à 6 amis. Si vous rendez les clients mécontents sur Internet, ils peuvent le dire chacun à 6 000 amis. »
Jeff Bezos
Les avis négatifs sont une mine d’or, ne pas les prendre en compte est le meilleur moyen de minimiser des frictions biens réelles dans le parcours client.
Ne demandent-ils pas toute notre attention ?
Les signaux faibles sont extrêmement importants car ils nous permettent de détecter des problèmes, et ensuite d’enquêter sur la manière de les régler. De remonter à la source, de comprendre le pourquoi ?
Les observations in situ et l’analyse des avis est un bon point de départ, facile, comme nous l’avons fait pour cet article. Mais il faut évidemment aller plus loin, avec des enquêtes de satisfaction, des interviews clients mais aussi des salariés, enfin un benchmarck permet d’identifier des standards qui fonctionnent et de s’en inspirer.
Dans le commerce, la culture comme dans le service public, la notion d’expérience devient centrale, les publics sont saturés de messages, de sollicitations de tout type et ont besoin de simplicité. Ce besoin de performance s’illustre par une exigence accrue, à chaque point de contact avec l’émetteur, en situation d’usage (UX)
Plus que jamais, les organisations ont besoin d’articuler leur fonctionnement sur le point de vue du client. La fameuse transformation.
La plupart des frictions des utilisateurs viennent de la partie invisible. La recherche utilisateur permet de détecter les problèmes via des audits, l’UX d’agir sur ce qui est visible. Mais seule une démarche profonde et des méthodologies de design de service peuvent faire bouger les lignes structurelles pour se recentrer sur l’expérience client.